Témoignage
Par Aude.R
Portrait N°2
Fabien
Je m’appelle Olivier, Vivien, né le 9 mars 1974 à la Clinique Les Fleurs à Issy-Les-Moulineaux.
Tout avait bien commencé en ce samedi et premier quartier lunaire, jour de la Sainte Françoise,
sauf que voilà, je suis né sous X.
A cette suite, j’ai été confié à une œuvre privée, « la Fondation d’Heucqueville ».
Aussitôt né, donc, j’obtiens deux prénoms qui m’ont été donnés par le personnel de la maternité.
À l’issue de dix jours de vie à la maternité, j’ai été placé à la pouponnière de cette fondation et mon
adoption ne tarda pas, car aussitôt arrivé, aussitôt adopté, en ce mois de juin 1974 pour devenir Fabien. Voilà, c’est à peu près tout
ce que je peux dire ou raconter de moi sur la période où j'ai été Pupille de l'Etat.
C’est cruel !
Jeune adulte, j’ai souhaité m’entretenir avec le trésorier de la Fondation ''car il était ami avec mes parents adoptifs'' pour comprendre, lui poser des questions sur mes origines. Il a refusé de me révéler quoi que ce soit au nom de l’honneur des familles qui avaient confié des enfants à la Fondation !
Je ne m’en contente pas et, bien que confronté au silence et à la culture du secret de cette Fondation, je continue mes recherches.
Le trésorier, rien à en attendre, je me décide donc à rencontrer l’assistante-sociale qui travaillait pour cette Fondation et recevait les mères qui souhaitaient confier un enfant...
Je suis là accompagné par un ami depuis plus d’une heure pour qu’elle me parle, m’aide, mais cette dame, malgré son intelligence vive, ne se souvenait pas de moi.
Cette dame à laquelle tu donnerais le bon Dieu sans confession, m’expliquait qu’elle avait détruit toutes ses notes (qu’elle devait soigneusement classer, j’imagine) et qu’elle avait reçu ma mère naturelle.
Là, je comprends à travers elle que tout est verrouillé et que j’ai à faire à des gens qui m'affirment, les yeux dans les yeux, qu’ils ne me diront rien !
J’ai enquêté auprès du personnel de la maternité du jour de ma naissance, j’avais retrouvé deux anciennes infirmières qui n’ont pu m’aider et ne se souvenaient pas de ma naissance.
J’ai réussi à retrouver l’obstétricien qui m’a mis au monde, lui encore ne se souvenait pas de moi. Puis j’ai cherché à accéder aux archives de la maternité mais là, encore, elles ont été détruites !
J’ai fait appel aux services de l’aide-sociale à l’enfance (ASE), des appels téléphoniques et de multiples courriers pour enfin accéder à mon dossier. Là encore, je gardais l’espoir de trouver des réponses... Mon dossier se compose d’une feuille volante. C’est-à-dire: que cette feuille, résume mes 18 ans de vie... C’est révoltant !
Cette situation pour un nouveau-né confié à l'adoption est un traumatisme qui est sous-estimé, ignoré dans la loi en vue de l’adoption-plénière. Cette dernière entretient l'illusion d'un enfant comme les autres et gomme la séparation initiale de la mère biologique et cette période de transition qu'est le statut de Pupille de l'Etat. La vie passée, les racines, le sens, la génétique du nouveau-né sont rayés, oubliés, alors que le traumatisme du nouveau-né, lui, demeure.
Un enfant adopté n’est pas comme les autres enfants, il garde en mémoire sa vie passée avec sa mère et son entourage jusqu’à ce qu’il vienne au monde. Puis vient la séparation avec sa mère, véritable traumatisme. Il y a toujours l’illusion que tout va bien, l’enfant une fois adopté a un nom, un prénom, des parents et des racines qu'on lui greffe.
Je parle en connaissance de cause et de coeur. J'ai trois enfants (deux filles et un garçon) dont j’ai pris le temps de m’occuper à leur naissance en prenant des congés parentaux. Je souhaitais être présent au quotidien, lors de ces 6 premiers mois d'une vie d'un être humain et me suis rendu compte à quel point la condition d'un enfant en attente d'adoption est délicate.
La loi de l’accouchement sous X ne protège pas l’enfant. Elle le prive de ses origines et de son histoire personnelle au moment même où il subit le traumatisme de la séparation avec sa mère de naissance. Une double peine en quelque sorte, tout à fait contraire à la dignité humaine. Je pense clairement que cette loi va bientôt disparaître, qu’elle va être abolie tellement elle est contraire au standard de la morale. Comment peut-on priver une personne de ses origines, de son histoire, de ce droit fondamental humain de connaître ses origines ? Quand cette loi va disparaître, les personnes qui l'ont défendue avec zèle seront clairement du mauvais côté de l'histoire...
Je le dis comme je le pense, l’accouchement sous X n’a pas sa place dans le "pays des droits de l’homme". Je suis très en colère contre cette loi et je l’assume...Il ne faut pas lâcher notre juste cause, notre volonté de vouloir abolir cette loi, à tout jamais... J'ai appris la mort d'une grande dame aujourd'hui, à savoir Gisèle Halimi.
Elle affirmait notamment : "Désobéir à une loi injuste, ça n'est pas désobéir". Je rejoins cette désobéissance.
Pour seul espoir, il me reste le test ADN. Alors je m’accroche à lui et me donne le temps de chercher, fouiller, investiguer et ça tombe bien car j’aime ça. Comme un pacte avec moi-même, je finirai par trouver mes origines et renverser cette injustice permise par l'Etat français. J’ai l’espoir de retrouver ma mère naturelle.
Aujourd’hui, bien que je me suis toujours senti hors-cadre, j'ai plaisir à travailler en contact avec du public. Je suis conseiller en insertion pour des personnes bénéficiaires de la protection internationale (statut Réfugié...).
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Fabien, quels conseils donneriez-vous aux jeunes personnes nées sous X, qui ne sauraient comment entreprendre leurs recherches sur leurs origines...
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Eh bien, parents adoptifs, je ne doute pas une seconde que vous nous aimez "comme si vous nous aviez fait". Cependant, n'ignorez pas ce que nous avons vécu avant de vous connaître. Les blessures sont là, alors soyez attentifs à la souffrance qu'un jour on pourrait exprimer et accompagnez nous pour nous aider à en guérir. «
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Un conseil que je donne aux personnes nées sous X : faites un test ADN.
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"Je tiens à remercier Aude pour son écoute bienveillante et pour m'avoir donné la possibilité de recueillir mon témoignage. Je remercie aussi Graciane et l'Association "X en colère" pour leur combat de longue date. L'association déplore de se sentir délaissée dans son combat face à l'injustice et au silence des autorités. Je fais partie de ces gens qui ont fini par baisser les bras. Cette lutte contre l'absurdité m'a épuisé psychologiquement et j'ai préféré conserver mon énergie pour ma famille. Merci à eux et à elles de continuer à porter le flambeau."
Vous pouvez rentrer en contact avec Fabien à l’adresse suivante : fablabou@neuf.fr