Témoignage par Aude.
Portrait N° 4
Graciane
Octobre 2020
Le souvenir, c’est la présence invisible.
Victor-Hugo.
Je suis née le samedi 9 août 1952 à la Clinique NICOLO dans le Paris 16éme, au n°32. Je m’appelle Graciane.
Ce que je sais de mon parcours de née sous X, pas grand-chose malheureusement.
Dès ma naissance, j’ai été recueillie et placée à la pouponnière de la Fondation d’Heucqueville. Je suis restée seulement 10 jours dans cette pouponnière. « Les 3 mois de délai de ma mère biologique n’ont pas été respectés... ?
A l’issue de ces 10 jours j’ai été placée dans ma future famille d’adoption en vue d’une légitimation adoptive réalisée en 1958. Il fallait alors 10 ans de mariage de mes futurs adoptants pour m’adopter. Durant mon placement à la pouponnière, mes futurs parents avaient été stupéfaits par mon regard pénétrant et avaient demandé à un professeur ophtalmologue – pédiatrique de m’examiner en raison de mon regard. Suit à cet examen positif j’ai été conduite à vivre temporairement 10 jours chez mes futurs parents adoptifs.
10 jours qui sont devenus des années jusqu’à la date de mon adoption en 1958.
A l’âge adulte j’ai pu connaître mes prénoms d’origine ‘’ Geneviève, Jacqueline, Graciane’’ ce dernier servant de nom de famille étant en lettres capitales. Une fois légitimé, je suis devenue Béatrice D.
Mon enfance se déroule au sein d’une famille ultra-bourgeoise de Province avec un père adoptif très, très aimant, respectueux de ma personnalité effrontée et rebelle déjà. Ma mère était plus distante et jalouse de l’amour filial de mon père. Il lui arrivait fréquemment de me frapper pour que je lui obéisse, cherchant à casser ma personnalité indomptable ne pouvant et n’arrivant à faire de moi un modèle, sa chose.
Commençant à devenir adulte mon père m’avait toujours soutenu dans mon choix de devenir professeur de sport étant dans un clan familial de médecins, pharmaciens et avocats... Je n’avais pas maa place au sein de cette famille. Heureusement pour moi que mon père était près de moi pour me soutenir et protéger envers et contre eux tous.
18 ans, j’obtiens mon diplôme de sport. Je suis nommée à 110 klm de ma famille, ce qui m’éloigne et me fait rentrer dans la vie active.
J’ai toujours su, ressenti avoir été adoptée. Je me sentais différente des autres enfants de mon âge, je n’ai pas eu besoin qu’on m’explique que mes parents adoptifs n’étaient pas mes parents biologiques.
Je suis dans la vie active, je m’éclate dans ma passion sportive. Ma vie affective est un vrai désastre pour cette dernière. On comprend que les sentiments, les pertes de repères m’ont fait partir dans tous les sens. Heureusement qu’au travers de ce désastre je n’ai jamais touché la drogue.
Ma volonté de survivre et non pas de vivre m’a toujours fait rebondir avec pour seul soutien, mon père.
Plus tard son décès en 1999, me plongera à nouveau dans un sentiment d’abandon de cette peur du vide, de se sentir seule ; Je venais de tout perdre malgré ma famille que j’avais construite en 1973, mon couple, mes enfants. Cette soudaine instabilité affective... Mon lien, mon histoire passée avec ma mère biologique qui m’a porté et là à nouveau la perte de mon papa adoptif fissurera, creusera davantage ce grand trouble affectif qu’on ne maîtrise finalement jamais, ou mal quand on est né sous X. (On a envie d’être aimé mais la peur de l’abandon est plus forte. On en arrive à mettre de la distance avec les choses et les personnes pour ne pas revivre la douleur qu’engendre le rejet.)
Le fait de ne pas savoir qui j’étais, d’où je venais, de ne pas connaître mon histoire passée avec mes parents biologiques, me couper dans ma racine a grandi ma révolte.
En effet, j’ai commencé à chercher, demandé, investigué en vain devant des portes closes. Plus personne ne se souvient, ne sait rien. ‘’Dossier vide’’, : le néant à part le fait que mes parents adoptifs ont payé à la Fondation d’Heucqueville sous forme d’assurance dotale, la modique somme de 90.000 francs de l’époque.
Néanmoins j’ai obtenu la copie du jugement de ma légitimation adoptive en date de 1958. J’étais devenu une marchandise de grande valeur mais, sans pédigrée.
À la découverte de toute cette ignominie, j’ai décidé de m’engager dans le milieu associatif pour aider mes frères et sœurs d’histoires nées sous X, enfants volés à leurs parents de naissances, pupilles de l’état... plus tard grâce à cet engagement j’ai fait la grande découverte, celle des mères de naissance « mères de l’ombre » et j’ai pu constater que leurs douleurs et culpabilités d’avoir dû se séparer de leur enfant été aussi douloureuse que notre condition de nés sous X.
Naître sous X, est une condition inhumaine, mourir sous X, c’est la double peine. Jusqu’à mon dernier souffle je me battrai pour faire reconnaître nos droits légitimes à savoir, d’où je viens, quelles sont mes origines.
Mon engagement au sein de l’association des X en colère depuis 2000, m’aura fait découvrir toutes sortes de quêtes, pour l’accès aux origines, toutes sortes de désespoirs, de souffrances, de colères mais aussi de révoltes. J’y ai découvert parallèlement un monde politique, administratif, complètement pourri. Des cellules ou commissions mises en place pour faire tampon sur certains dossiers gênants. Un système corrompu qui sciemment nous ampute de notre histoire, de nos droits de citoyens avec une suffisance répugnante face à notre condition de nés sous X.
Nous sommes un des 2 seuls pays en Europe avec le Luxembourg à conserver cette loi ignoble et infâme.
Je me pose la question, pourquoi le système nous empêche d’accéder à notre filiation d’origine, pourquoi ce système s’entête à nous cloîtrer dans notre condition de sous-citoyen. Pourquoi, ce système, le Sénat, l’assemblée donnent des droits aux enfants issus de PMA et que dans un même temps l’on refuse tout amendement aux nés sous X. Que cachent-ils ?
Pourquoi je dois passer ma vie sans mes antécédents médicaux, sans ne pouvoir avoir accès à mes données génétiques.
Pourquoi devrais-je mourir, sous X ?
Quels conseils donnerais-tu à une jeune personne née sous x qui commencerait ses recherches.
De faire un test ADN et surtout de ne jamais baisser les bras.